, ,

Les Bonnes Pages

Getting your Trinity Audio player ready...
Jean Elie Prosper, Mini-Biblio, 1989

Présentation des Mémoires pour servir à l’histoire d’Hayti (1804) de Boisrond-Tonnerre

Par Asselin Charles

Haïti pourrait bien être l’une des nations les plus importantes du point de vue historique dans les Amériques, en dépit des perceptions globales actuelles de la première république noire comme une entité politique désespérément assiégée. Le tiers occidental de la deuxième plus grande île des Caraïbes a été le site de plusieurs tournants de l’histoire moderne, un lieu où se sont déroulés des événements d’envergure mondiale et où des figures historiques mondiales hégéliennes ont contribué à l’élaboration de l’architecture politique et économique du monde moderne.  C’est en Haïti qu’a été établie la première colonie européenne dans les Amériques. C’est le carrefour où, comme l’a fait remarquer Alejo Carpentier, toutes les races de l’humanité se sont rencontrées pour la première fois. C’est le lieu de naissance du système colonial qui a lié les Amériques à l’Europe et à l’Afrique dans le cadre du commerce triangulaire qui a finalement donné naissance au capitalisme moderne. Enfin, c’est le champ de bataille où le système colonial a été contesté avec succès par une révolution menée par les Noirs asservis de la colonie française de Saint-Domingue afin de créer l’État-nation indépendant d’Haïti le 1er janvier 1804.

Cet événement sismique, qui a bouleversé la structure géoéconomique et géopolitique mise en place par l’Europe entre le XVIe et le XVIIIe siècle, a été annoncé au monde entier dans deux documents importants : l’Acte d’indépendance, signé par les généraux de l’armée révolutionnaire, et la Proclamation de Dessalines, général en chef des troupes noires victorieuses et père de la nation naissante.  Ces deux documents ont été rédigés par le secrétaire de Dessalines, Boisrond-Tonnerre, qui s’est distingué par sa bravoure lors des principales batailles de la guerre de libération qui a duré douze ans (1791-1803). Boisrond-Tonnerre fut chargé de rédiger la Déclaration d’indépendance par Dessalines qui le considérait comme le membre de l’état-major le plus apte à exprimer les aspirations du peuple haïtien nouvellement libéré et comme le soldat dont les pensées et les sentiments étaient les plus proches des siens. L’histoire rapporte que Dessalines avait rejeté plusieurs textes qui lui avaient été soumis lors d’une réunion de l’état-major parce qu’ils étaient soit des échos clichés du discours révolutionnaire français, soit de pâles pastiches de la Déclaration d’indépendance américaine. Dessalines choisit Boisrond-Tonnerre pour la tâche historique de rédiger le document fondateur de la nouvelle nation lorsque ce dernier se leva et déclara, dans le langage révolutionnaire hyperbolique de l’époque : « Pour écrire cette Déclaration d’indépendance, il nous faut la peau d’un Blanc comme parchemin, son sang comme encre et une baïonnette comme plume. »

Il est clair que Boisrond-Tonnerre est un personnage historique important, non seulement en tant qu’auteur de la Déclaration d’indépendance d’Haïti, mais aussi en tant qu’acteur majeur de la guerre de libération et témoin privilégié de la création d’un État-nation noir dont la résilience constitue encore un défi au monde construit par l’Europe et ses ramifications. D’où l’importance de ses Mémoires pour servir à l’histoire d’Hayti (1804). Ces mémoires relativement courts (106 pages) présentent un autoportrait attachant de Boisrond-Tonnerre, soldat héroïque et amoureux passionné de la liberté. En même temps, ils donnent un aperçu de l’idéologie et du système de valeurs qui l’ont soutenu, lui, ses compagnons d’armes (Toussaint, Christophe, Pétion et d’autres chefs de l’armée révolutionnaire) ainsi que les fantassins africains pendant la longue guerre de libération, leur permettant à tous de surmonter les contradictions, les trahisons et les conflits internes pour le triomphe final de la révolution. L’ouvrage présente également les adversaires des révolutionnaires noirs, les généraux, soldats et fonctionnaires français, défenseurs du système de plantation esclavagiste qui avait fait de Saint-Domingue la colonie européenne la plus riche et la plus productive. Dans un style énergique, passionné et élégant, Boisrond-Tonnerre transmet à la postérité non seulement la pensée du fondateur, le général Dessalines, mais aussi la volonté et les aspirations de la nation elle-même. Dans l’ensemble, les Mémoires peuvent être considérés comme l’un des premiers modèles de discours anticoloniaux et postcoloniaux, et comme un exemple des positions idéologiques qui allaient inspirer les combattants indépendantistes latino-américains et les esclaves rebelles aux États-Unis au lendemain de l’indépendance d’Haïti, ainsi que les combattants anticoloniaux pour la liberté dans l’ensemble du Sud global au cours de la seconde moitié du XXe siècle.

Pour toutes ces raisons, les Mémoires pour servir à l’histoire d’Hayti de Boisrond-Tonnerre sont un texte très important pour l’histoire moderne. C’est donc un ouvrage qui mérite d’être partagé avec un public beaucoup très large, un livre qui doit être lu non seulement par les Haïtiens scolarisés qui doivent encore découvrir tant d’aspects inconnus de leur histoire nationale, mais aussi par les personnes du monde entier qui ont soif d’une compréhension plus complète de la construction du monde moderne et de la lutte toujours en cours pour la libération de toutes les nations et de tous les peuples.

Les quelques pages des Mémoires de Boisrond-Tonnerre extraites ici devraient donner aux lecteurs de HDNdigest un aperçu de la puissance rhétorique et de la force idéologique du premier livre publié après la déclaration d’indépendance d’Haïti. Cet extrait est une invitation à poursuivre la lecture de cet ouvrage envoûtant à leur guise.

Enfin, à noter : Dans l’extrait français reproduit ici, la ponctuation et l’orthographe ont été conservées telles qu’elles sont dans l’original. De plus, pour faciliter la lecture en ligne, nous avons transposé les notes de Boisrond-Tonnerre du bas des pages originales à la fin de l’extrait dans l’ordre consécutif.


Bonne lecture !

Si vous avez des commentaires ou suggestions, n’hésitez pas à nous écrire. Par avance, un grand merci.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *