In memoriam : Józef Kwaterko (28 novembre 1950-2 août 2023)

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Jean Jonassaint 

Dans les minutes suivant mon mail à quelques collègues et amis les invitant à explorer en ligne en prépublication le HDNdigest, le 3 août dernier, je reçois un mot d’une amie m’annonçant la mort, la veille, de notre ami Józef Kwaterko. Si je tiens à signaler ce triste événement aujourd’hui, c’est que Kwaterko a été un ami d’Haïti et surtout des Haïtiens, ce qui n’est pas toujours le cas. 

Les funérailles de Kwaterko à Varsovie le 14 août 2023.

En effet, au-delà de ses travaux sur les écrivains et éditeurs haïtiens du Québec — voir ses articles : « Les Fictions identitaires des romanciers haïtiens au Québec » (Revue de littérature comparée 302 (2002) : 212-229) et « Revues culturelles des immigrants haïtiens en diaspora québécoise : conditions d’émergence et quête de légitimité », in Constructions culturelles de la migration au Canada sous la dir. de Klaus-Diefer Ertler et al. (Peter Lang, Frankfurt, 2011, p. [213]-227) —, Kwaterko, en 2010, après le tremblement de terre, a lancé une initiative de bourses pour des jeunes étudiants haïtiens à l’Université de Varsovie. J’ignore dans les détails des résultats concrets de cette initiative, mais peu importe elle était louable. J’invite donc vivement des bénéficiaires à en témoigner. 

Par ailleurs, ayant discuté du projet avec Józef à Paris, l’une des rares fois nous nous sommes rencontrés face à face, je sais à quel point il le chérissait, car ayant échoué dans une première tentative, il me demandait désespéramment comment faire pour réussir. Je lui ai fait quelques suggestions, et je lui ai recommandé vivement de communiquer avec un autre ami, Vernet Henri, le recteur de l’Université d’État d’Haïti à l’époque.

Choses dites, chose faites, Józef suivant mes conseils, relança son projet, et voilà qu’au matin du 1er août 2010 (autre étrange coïncidence, décidément ce 8e mois intrigue), il m’écrivait : 

« Cher Jean 

[…] Bonne nouvelle à partager (!) : Après 3,5 mois de préalables et échanges avec les recteurs de l’UÉH (y compris des malentendus quant à la correspondance des programmes) ça y est : la sélection des10 candidats de l’UÉH s’est terminée jeudi passé par un entretien de 2 heures en téléconférence (sur skype) sur le portable du Consul honoraire de Pologne, Salim Succar, au Consulat à PAP (un cabinet d’avocats à Bourdon, lézardé mais utilisable). Il y avait le Doyen de l’ENS Bérard Cénatus et les étudiants présélectionnés par lui selon les critères de l’excellence académique. Et de notre côté un petit comité (doyenne, moi et une directrice aux études anglaises). Nous avons reçu auparavant leur relevé de notes, lettres de motivation (en français, anglais et espagnol en fonction des départements qu’ils veulent intégrer ici) et les programmes (curriculum de formation) à l’ENS. »

Jozef avec des étudiants haïtiens à Varsovie ;

Il avait réussi… Dix étudiants haïtiens ont été admis à l’Université de Varsovie – faisant dans un certain sens un retour vers un étrange pays natal d’une part, notamment paysanne, de la population haïtienne, celle de Fonds-des-Blancs, Cazale… 

Il terminait son mail avec sa courtoisie, humilité et solidarité toutes polonaises : 

« Je voudrais te remercier une fois encore pour tous tes conseils et magnifiques idées que tu m’as donnés à Paris qui m’ont inspiré à tenir bon, être persévérant et patient. Bien entendu, c’est la première phase, mais elle augure un bon suivi 

Excuse-moi pour cette lettre longuette. 

amitiés fraternelles, 

Jozef »

À relire cette correspondance avec Józef me pousse à souligner la participation héroïque des Polonais de l’armée de Leclerc qui sont passés à la résistance avec l’Armée indigène sous le commandement du Général en chef, Jean-Jacques Dessalines, qui leur accorde la citoyenneté haïtienne selon l’article 13 de la Constitution impériale de 1805. Ces Polonais et leurs descendants nous rappelant que dès l’origine, la nation haïtienne est multiraciale, multiculturelle, avec bien sûr des apports africains mais aussi caribéens, français, espagnols, anglais et allemands. 

Ces liens séculaires et historiques entre Polonais et Haïtiens, Józef les chérissaient, et étaient devenus un de ses axes de recherches comme en témoigne, entre autres, cet article qu’il me transmettait le 21 mai 2020 par courriel en version Word, “The Black Poles in Haiti. A Story Plucked from Oblivion” (Atti Dell’Academi Polacca, vol. 8 (2020), p. 51-62. 

Un article qu’il présente comme suit : « Mon article est consacré aux affiliations historiques et interculturelles entre la Pologne et Haïti. Je commencerai par une analyse du contexte historique et je me concentrerai sur l’historiographie basée sur les rapports officiels et la correspondance épistolaire des soldats polonais envoyés par Napoléon Bonaparte à la colonie française de Saint-Domingue (1802-1804), ainsi que sur leur perception du besoin de liberté et d’indépendance nationale revendiqué par les anciens esclaves. Ensuite, je tenterai de mettre en évidence certaines affinités entre les cultures polonaise et haïtienne et la situation actuelle des mulâtres descendants des soldats polonais, ceux qui sont restés en Haïti » (ma traduction). 

Cet article, en effet, fort justement, met en lumière un aspect des multiples embranchements ou enracinements européens de la nation haïtienne dont des traces évidentes se retrouvent dans notre vernaculaire, tant sur les plans lexical, syntagmatique que phonologique ; et vouloir les taire, par ignorance ou malhonnêteté, ne peut que nous nuire. 

Encore une fois, Gardons tous nos fers au feu !…